(Édition 25.07.20)
ACTUALITÉ 1
Les comptes qui publient des dénonciations anonymes
d'inconduites sexuelles se sont multipliés au cours des derniers jours. Et
pendant que certains s’inquiètent de possibles dérapages, une cofondatrice d’un
de ces comptes y voit plutôt une occasion de libérer la parole des victimes.
La femme que nous avons rencontrée a demandé
l’anonymat parce qu’elle craint des représailles. Elle a créé, avec d’autres
personnes, une page Facebook qui mène vers une liste qui contient des centaines
de noms, tous présentés comme de potentiels agresseurs. Ça a été créé pour
donner une parole aux victimes pour qu'elles puissent dénoncer leur agresseur,
explique-t-elle.
Le geste reproché à chacune de ces personnes n’est
toutefois pas précisé. Un code allant de 1 à 3 a été récemment ajouté aux côtés
de plusieurs noms pour préciser le degré de gravité des allégations, qui vont
des propos déplacés au viol.
La cofondatrice du compte justifie le fait de nommer
les agresseurs allégués par la volonté de protéger des victimes potentielles.
Elle mentionne aussi ne pas souhaiter de mal aux personnes dont le nom se
retrouve sur la liste.
ACTUALITÉ 2
Lettre d’opinion est le professeur titulaire Daniel
Gagnon, de l’Université du Québec à Chicoutimi.
À l’époque féodale, les contrevenants étaient lynchés
sur la place publique. Plus le plaignant était puissant, plus l’évènement était
couru par le peuple et plus la vindicte s’avérait sévère. Dieu merci,
l’évolution sociale a fait en sorte d’éliminer cette façon de faire dans les
sociétés modernes! Les réseaux sociaux sont une résultante de l’évolution
technologique. Il ne faudrait pas que le progrès technologique annihile le
progrès social. Les philosophes des lumières ne s’en remettraient pas!
HISTORIQUE 1: XIVe au XIXe siècles
Usages répressifs d'abord. Dans le comté de Bourgogne
à la fin du XIVe siècle, la dénonciation est un outil des juges de l’État
princier face à certaines résistances seigneuriales (M. Bubenicek). Dans
l'Inquisition, l'usage de la dénonciation atteint son maximum. En Suisse
romande au XVe siècle, pour traquer les « sorciers », l'institution
inquisitoriale cultive la dénonciation anonyme et collective, mais aussi la
dénonciation par les complices, et se trouve de ce fait instrumentalisée par
les groupes familiaux à des fins de vengeance (Ch. Ammann-Doubliez, G.
Modestin, M. Ostorero, K. Utz Tremp). Toutefois, la dénonciation revêt d'autres
visages que ceux de la force et de la haine. Une procédure d’auto-dénonciation
a ainsi été mise au point et largement utilisée, notamment sous le nom de «
fait mandé », dans plusieurs villes des Pays-Bas. Elle permettait aux criminels
de confesser leurs actes et d'éviter les sanctions les plus lourdes (A. Musin).
Dans la France du XIXe siècle, à l'obligation universelle de dénoncer les
crimes et délits répond le délit de « dénonciation calomnieuse », fermement
poursuivi (V. Bernaudeau).
HISTORIQUE 2 : à Venise
Les bouches de dénonciation étaient des sortes de
boites aux lettres faites pour recevoir les dénonciations, que les procurateurs
prenaient plus ou moins en compte...
Les dénonciations devaient être signées, voire
appuyées de témoignages. On ne dénonçait pas à tort et à travers. Gare aux
auteurs de dénonciations mensongères !!!
Cette pratique était d’usage courant et permettait une
surveillance policière de tous à tout moment. Bien sûr qu’on ne pouvait pas
dénoncer anonymement, ni sans éléments pour étayer ses affirmations ou ses
suspicions. Et bien sûr, lorsque la dénonciation était prise en compte, une
enquête était diligentée pour vérifier les faits.
On est donc loin de ce qui nous répugne un peu de nos
jours, une dénonciation des citoyens entre eux, qui peuvent cacher de simples
règlements de compte personnels.
HISTORIQUE 3 : la Révolution
française
Georges Couthon, député et membre du tribunal
révolutionnaire, modifie la procédure dans ce qu'on appellera le décret du 22
Prairial, ou «loi du sang» pour ses détracteurs. Le moins qu'on puisse dire,
c'est qu'on se donne les moyens d'accélérer la cadence. Ainsi, l'article VI
donne une définition large des ennemis de la patrie qu'il s'agit d'éliminer. Il
suffit d'avoir «égaré, découragé le peuple», d'avoir «propagé de fausses
nouvelles» pour être jugé comme tel. L'article VIII, lui, stipule qu'une
«preuve morale ou verbale» peut suffire à condamner un homme; l'article XIII
déclare que si on dispose d'une de ces preuves, «il ne sera pas entendu de
témoins»; l'article XVI annonce que «la loi donne pour défenseurs aux patriotes
calomniés des jurés patriotes, et n'en accorde point aux conspirateurs», en
clair, il n'y aura plus d'avocat.
HISTORIQUE 4 : sous Staline
Pour convaincre les Soviétiques, le pouvoir utilise
l'ensemble des leviers dont il dispose. Régulièrement des textes plus ou moins
explicites incitent à la critique, au « devoir de vigilance ». L'encouragement
de la dénonciation prend aussi des formes légales (dans certains cas limités,
elle est obligatoire), pratiques (le régime facilite le dépôt des plaintes) et
symboliques (grâce à la popularisation de certains responsables comme le chef
de l'État, M. I. Kalinin, le pouvoir veut donner l'image d'un régime à l'écoute
attentive de son peuple). Ces mesures sont complétées par un effort de banalisation
de la dénonciation. Celle-ci fait partie du quotidien de chaque citoyen
soviétique : s'il lit le journal, il peut y découvrir de nombreuses
dénonciations. Sur son lieu de travail, les journaux muraux sont le lieu
privilégié d'affichage de ces textes. Si, en plus, il participe à la vie
politique de son pays, il peut assister à des réunions où responsables comme
simples individus peuvent être violemment dénoncés en public et sanctionnés.
A
VOUS DE JOUER
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